Sujet 19 – résumé
Devenues plus autonomes, les collectivités territoriales sont entrées en concurrence comme des acteurs privés dans un contexte néolibéral : il leur faut être productives, savoir se vendre, se rendre visibles sur le marché de l’emploi, des capitaux et du loisir.
Les élus locaux font donc appel à des agences pour définir le profil de leur territoire ; celui-ci est alors unifié et simplifié, son hétérogénéité est niée et avec elle les attentes des habitants. Les lobbies économiques et culturels forcent aussi à prendre cette voie.
88 mots.
Question 2 introduction
Au cours des années 80, Montpellier a trouvé son sigle (un M blanc sur fond bleu) et son slogan, « la surdouée ».
Depuis cette période les autres municipalités, les départements, les régions, ont adopté avec ferveur les méthodes de communication marketing des banques et des entreprises. Cela tient avant tout au fait qu’aucun secteur d’activité n’échappe au néolibéralisme, si bien que tous finissent par fonctionner selon les mêmes règles, clairement énoncées par le texte : concurrence, recherche de rentabilité, sous-traitance, et « développement d’une politique d’image à visée attractive », donc en effet marketing ; le marketing territorial est donc pour les administrateurs locaux à la fois un credo et une contrainte. Mais les collectivités ne sauraient être que cela, d’où la prudence de notre texte : elles « semblent devenues des entreprises, du moins elles montrent de nombreux signes de cette transformation », donc elles ne sont pas tout à fait des entreprises. Elles restent, malgré les pressions, surtout économiques, qu’elles subissent, malgré l’obligation qui semble si impérieuse de « s’adapter », des entités politiques, donc aussi soumises au choix des citoyens. Il revient alors aux habitants, qui sont aussi des électeurs et des contribuables, de jouer un rôle actif pour que leur lieu de vie ne soit pas dissimulé par son « image », pour que les véritables urgences sociales soient traitées en priorité. Peut-on donc vraiment dire que les collectivités locales sont soumises au « marketing territorial » dont parle Michel Koebel ?
Dans les années 1980, la décentralisation a réparti les compétences entre l’Etat, les régions, les départements et les villes : chacun de ces niveaux a depuis ses budgets, ses priorités, mais entre également en concurrence avec les autres villes, départements, régions, de façon à obtenir le maximum de ressources, ce qui suppose que la population augmente, que des entreprises s’installent, que des capitaux soient investis sur place, que les touristes viennent. Il ne suffit alors certes pas de penser que la décentralisation a simplement rencontré par malchance une ambiance néo-libérale : même si elle a été menée en France par la Gauche au pouvoir, elle a été conçue dans une optique néo-libérale, afin de réduire le pouvoir d’Etat et les impôts et de transférer des charges comme des dépenses à des entités dites « autonomes », ce qui veut dire d’abord qu’elles doivent ne pas trop compter sur le pouvoir central et adopter des règles proches de celles de la comptabilité d’entreprise.
La nécessité d’équilibrer les budgets (avec une participation de l’Etat toujours moins importante que prévue) et de faire face à la concurrence a donc aussi amené, comme l’explique notre texte, la nécessité d’adopter des techniques de communication ou de marketing qui sont autant de leviers de la compétition entre entreprises dans un contexte néolibéral. Ce que l’on nomme alors « communication publique » n’est ni plus ni moins que la communication sur le mode privé des collectivités publiques. Il n’y a aucune différence de méthode dans la communication et l’élaboration d’une image de marque qu’il s’agisse de Total, de Siemens, de même pour Orange ou EDF (des entreprises publiques totalement ou semi-privatisées), de la Haute-Garonne ou de Marseille. Toutes ces entités, qui externalisent déjà un bon nombre de services, font appel aux mêmes communicants externes travaillant de la même manière pour produire une « identité », si bien que ces identités se ressemblent finalement toutes… Nous avons parlé de Montpellier « la surdouée » (référence, que toutes les villes recherchent, à un haut niveau universitaire, scientifique et technologique, autant de ressources publiques bénéficiant directement et quasi-gratuitement aux entreprises). On peut citer également les slogans : « la performance a son département : les Hauts-de-Seine ». Actuellement la période est aux jeux de mots ou rimes de bas niveau : « Allier les bleus », « en Gironde, à chacun son point G », « L’ Aisne, it’s open », auquel s’ajoute « L’Aisne c’est vachement biau » (parce qu’il y a des vaches, parce que biau veut dire beau en Picard et fait « bio ») ; ou encore « Alsacez-vous »… Chaque région, département, ville a également son emblème.
Notre texte insiste à juste titre sur le fait que l’image ainsi élaborée est artificielle, simplificatrice, quand elle n’est pas totalement dénuée de sens, et qu’elle vise donc à masquer la réalité complexe de chaque territoire. L’auteur voit même un danger politique dans ce marketing territorial : car cette simplification donne aussi l’illusion d’un intérêt général, alors même que les collectivités sont de plus en plus sous la pression des intérêts spécifiques.
Mais à la différence d’une entreprise, une collectivité décentralisée n’est pas sous le contrôle des financiers et d’une hiérarchie patronale, elle est soumise au vote et au contrôle des citoyens. Il leur revient alors de s’emparer de la politique locale.
Partie II
Là était bien la justification officielle de la décentralisation : non pas transformer les collectivités en entreprises, mais rapprocher le pouvoir des citoyens ; donc développer une démocratie locale, qui fut l’un des thèmes de mai 1968 – avant que le désir de liberté exprimé dans les manifestations de cette période ne soit entièrement absorbé et réutilisé par le nouveau management, sous forme d’autonomie et de responsabilité individuelle, d’exigence de créativité, etc. En ce qui concerne les régions et les départements, les citoyens ont été considérés comme de simples électeurs, et ce sont vite désintéressés de cette implication ponctuelle : comme le dit Pitseys dans son ouvrage Démocratie et citoyenneté, la démocratie ne fonctionne vraiment que si l’on dépasse son aspect procédural pour en faire un véritable lieu de mobilisation : de discours et de pratiques. Or cela s’est bien développé dans la politique municipale : à ce niveau le plus local de la décentralisation, on a bien assisté au développement des consultations publiques, des conseils de quartier, de l’engagement associatif, les associations valant par leur activité spécifique mais aussi par leur capacité à faire pression sur les politiques d’une manière opposée à celle des groupes économiques. En revanche, la participation aux élections municipales n’a nullement augmenté.
Il semble cependant que la ferveur pour la démocratie locale soit elle-même passée, également parce que les pouvoirs publics ont très fortement diminué les subventions aux associations. On se trouve même dans une situation paradoxale où les villes communiquent sur la démocratie locale bien plus qu’elles ne la pratiquent – Paris serait ici un bon exemple. Il s’en faut de peu que la participation citoyenne ne devienne elle-même un thème de marketing…
Mais tout aussi récemment, s’est accentuée un refus assez général de la logique néolibérale, et un scepticisme total en ce qui concerne le contenu du marketing. Ces phénomènes pourraient alors bien donner un nouveau souffle à la démocratie, de nouvelles formes de revendication et de manifestations ; cela afin que la ville (plus que le département et la région) devienne un vrai espace public, au sens donné à ce terme par Hannah Arendt : un espace où des individus tous singuliers apportent leur parole et leur capacité d’action dans la visée d’un bien commun.
Le poids du marketing est inquiétant en lui-même et surtout comme signe d’une commercialisation des entités politiques locales, d’une victoire sur ce terrain aussi du néolibéralisme. Mais on ne peut s’en tenir à ce constat – qui serait d’ailleurs plus pessimiste que ne l’est notre texte. Car de même que le marketing s’effondre dans ses excès qui touchent parfois au ridicule, le néolibéralisme ne repose plus sur un consensus global ; et ce sont alors sans doute les villes, ces collectivités locales qui ont toujours plus innové politiquement que les Etats (elles ont inventé le capitalisme lui-même !) qui donneront un souffle politique nouveau à la démocratie.
Sujet 17
Introduction
Il n’est pas rare que les présidents de la République prennent leur distance par rapport aux manifestations provoquées par leur politique, en rappelant qu’ils ont été élus pour diriger le pays pendant une période donnée, également que les citoyens ont le droit de s’exprimer, mais aussi et finalement que cette expression ne changera rien à leur manière de gouverner.
Il est vrai que la souveraineté démocratique s’incarne avant tout dans les droits égaux des citoyens à la participation politique, qu’il s’agisse de voter directement une loi (par référendum), de choisir leurs représentants, de tenter d’être élus, ou d’exprimer leur désaccord. Mais ces règles limitent très fortement la citoyenneté si elles ne sont effectives que dans la ponctualité du vote ou le droit de proférer des paroles sans conséquences. C’est bien pourquoi John Pitseys estime que l’exercice de la citoyenneté est aussi indissociable de « l’ensemble des pratiques, des discours, des mobilisations donnant chair à l’idéal démocratique ». Ainsi, la démocratie est-elle seulement procédurale et représentative ou se trouve-t-elle du côté de la vie politique constante assurée par les citoyens ?
Nous verrons dans un premier temps que la démocratie est effectivement une procédure, un ensemble de règles, puis qu’elle exige des pratiques populaires qui débordent ces règles.
On peut d’abord estimer que la démocratie repose bien sur un ensemble de règles explicites garantissant l’égalité des citoyens. Celles-ci sont avant tout fixées par la Constitution, loi fondamentale qui définit toutes les modalités d’accès au jeu démocratique : la liberté d’expression (assurée par exemple par la référence aux Droits de l’homme du préambule de la Constitution de la Ve République), les droits et les conditions pour se présenter comme électeur et comme candidat, le champ et la procédure du référendum, les règles de répartition du pouvoir entre les représentants du peuple.
Il faut que chacun reste dans ses droits et respecte ses devoirs pour que les citoyens demeurent égaux dans l’élaboration des lois et l’obéissance au droit, même si cela implique une inégalité dans le pouvoir de décision : la souveraineté est transférée sans mandat impératif, donc entièrement, au Parlement qui représente le peuple, comme en France au chef de l’exécutif – qui dans les régimes parlementaires (ce que n’est pas vraiment la France) est élu par l’assemblée ; dès lors, les citoyens n’ont plus le droit de s’opposer aux lois ou décrets gouvernementaux, même s’ils gardent celui de critiquer autant qu’ils le souhaitent la politique menée, ou d’agir en justice devant le tribunal administratif s’ils sont directement lésés par l’Etat.
Comme le dit notre texte, les citoyens sont rarement satisfaits de leurs représentants : ni ceux qu’ils n’ont pas choisis (mais sont obligés de reconnaître dans leur légitimité démocratique) ni ceux qu’ils ont élus (« l’état de grâce » d’un Président élu ou même d’un député ne dure que quelques semaines au début de son mandat). Il leur est toujours permis de critiquer la politique menée, de dire ce qu’il faudrait faire selon eux, et même de critiquer le régime démocratique, les seules interdictions portant sur la calomnie, les injures racistes ou antisémites, l’appel à la violence, l’apologie du terrorisme. Ils peuvent le faire par écrit et disposent actuellement de moyens de publication immédiate sur les réseaux sociaux, ils peuvent le faire oralement, dans un café ou dans la rue, sous forme de slogans lors des manifestations. L’opinion publique qui s’exprime est aussi sondée régulièrement, et le pouvoir l’observe très attentivement, pour maintenir l’ordre public, pour prévoir le résultat des prochaines élections, pour éventuellement modifier sa politique s’il est trop impopulaire. Mais aucune règle n’oblige à cette modification en fonction de l’opinion publique, ce qui rendrait le gouvernement instable, voire impossible. Cependant, le fait de s’en tenir à ces procédures démocratiques appauvrit considérablement la vie politique, qui se limite alors à l’actualité gouvernementale et aux réactions de l’opinion. Rien ne laisse encore place ici à un véritable engagement citoyen, ou civique, en fonction de causes ou de valeurs précieuses pour certains groupes, ou d’intérêts qui leurs sont propres. Et dès lors, il faut bien que la démocratie s’incarne autrement.
Partie II
Comment ? Tout d’abord en tenant compte du fait que par leurs discours, les citoyens ne font pas que réagir aux événements mais élaborent progressivement leurs propres idées : le débat ne doit pas alors être seulement « toléré » par le pouvoir, car au-delà de cette obligation juridique se trouve un devoir politique de tenir compte de ce que les intellectuels et les citoyens expriment. D’une manière générale, l’Etat s’appuie bien trop peu sur la production de savoirs spécialisés qu’offre l’Université, se préoccupant plutôt de limiter la liberté académique pour assurer le respect des « valeurs de la République » – qui ne sont justement telles que si le pouvoir ne se place pas plus haut que le savoir. Mêmes les rapports demandés officiellement à des experts sont trop fréquemment enterrés s’ils ne correspondent pas à la vision officielle de la politique. L’Etat doit être tout autant attentif aux paroles des citoyens non experts, car c’est eux qu’il gouverne : il n’est pas normalement que des slogans portés par des millions de manifestants soient seulement considérés comme des éléments de la « libre expression » sans que le gouvernement n’en tire aucune conséquence.
Le gouvernement doit donc aussi (politiquement, non juridiquement) favoriser une démocratie reposant sur la consultation, et faire appel aux citoyens autrement que par l’élection représentative ou référendaire. C’est bien pour cette raison qu’ont été organisés plusieurs « grands débats » (par exemple après les manifestations des Gilets jaunes) et plusieurs « conventions citoyennes ». Il reste que bien souvent les questions posées sont d’emblée trop orientées, et que les réponses ne sont pas suivies d’effets. Ainsi, après avoir promis a priori de transformer « sans filtre » en mesures les propositions finales de la Convention citoyenne sur le Climat, le Président Macron n’en a retenu qu’une sur dix (une quinzaine sur 149) : la consultation démocratique s’avère donc bien balbutiante en France, sinon incohérente.
Il est tout aussi essentiel que la liberté de s’associer et de manifester ne soit pas reléguée à titre de priorité secondaire derrière l’impératif de « l’ordre public ». Dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (qui, rappelons-le, a valeur constitutionnelle) l’ordre public est compris comme ce qui ne doit pas être mis en danger par la liberté, non comme une finalité qui la dépasserait : car en soi il n’a rien de spécifiquement démocratique ; l’idée de la démocratie est même qu’un ordre public trop strict est plus dangereux pour la survie de la société qu’une liberté effective. A vrai dire, cet ordre est vivant et efficace quand il laisse place à un minimum de désordre, et c’est bien ce minimum qu’incarnent les manifestations quand elles sont bien organisées, ce que l’Etat peut toujours vérifier à l’avance. Bloquer des rues, occuper une place, ne sont pas des actions qui sèment le chaos, ce sont simplement des implications citoyennes, dont l’Etat devrait se réjouir malgré sa tendance à faire régner ce que Locke nommait « la paix des cimetières ». C’est bien par l’action jointe à la parole que Hannah Arendt, dans la Condition de l’homme moderne, définit la politique : c’est ainsi que se constitue un espace public à chaque fois renouvelé par la simple naissance de futurs citoyens, tous différents les uns des autres.
Nous nous accordons donc finalement avec le commentaire que notre auteur donne des valeurs fondamentales de la République : liberté, égalité, fraternité. La première implique des engagements acharnés en fonction de diverses conceptions de la liberté, la seconde interdit d’imposer sa perspective (autrement dit : même l’Etat ne peut imposer la sienne), la fraternité consiste à vivre ensemble avec des engagements différents. Défendre le même projet démocratique, c’est alors, selon la dernière phrase de notre texte, diverger sur le contenu de ce projet. On pourrait même sur ces bases considérer que la démocratie est par définition « agonistique » : pour reprendre la distinction établie par Chantal Mouffe, la démocratie consiste à entretenir des relations avec des adversaires qui ne sont pas des ennemis. Elle ne vise pas le consensus mais la simple convergence momentanée et partielle de perspectives différentes.
Conclusion
En fin de compte, une démocratie procédurale est une démocratie scindée, le pouvoir s’arrogeant la parole et l’action et ne laissant aux citoyens qu’une parole sans action (ce qu’est le vote comme transfert de l’exercice de la souveraineté et la « libre expression »). La démocratie est réelle quand la politique souveraine est enrichie par l’engagement constant de citoyens en désaccord, et c’est aussi de cette manière que la République peut incarner ses valeurs.
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