La science

Bibliographie d’été

Bibliographie alternative (littérature, cinéma, autres médias)

Séance du 02.09 :

Programme et organisation du cours, voir début de la page agenda.

Importance des connaissances de transfert

Différence thème/ dominante

Introduction

– Introduire la science, c’est se placer à la fois en elle et en-dehors d’elle ; ce que l’on ne cessera de faire, car telle est la position de la philosophie sur la science, qui n’est pas seulement “la science” ni “la philosophie de la science” ou l’épistémologie.

– Le discours scientifique doit être l’expression la vérité – relation science – vérité

  • La science est la vérité se définissent l’une par l’autre
  • Et pourtant la science n’a pas le monopole de la vérité; distinguer discours scientifique / discours qui se revendique d’une vérité non scientifique (amour, [suite début du prochain cours] promesse, foi) /discours qui se définit par un écart plus ou moins grand vis-à-vis du vrai (art, fiction, question de la vraie semblance et de la vraisemblance) ; d’où l’articulation “vraie vérité” et sens, signification et sens.
  • La science livre la vérité la plus vraie : selon des critères définis de vérification, ceux de la démonstration : règles du raisonnement et relation à l’expérience. Sciences pures et sciences expérimentales. Les règles de la démonstration varient selon les sciences.
  • Différence expérience / expérimentation
  • Différence expérimentation / application : lien science et technique.
  • La démonstration, en elle-même et dans sa relation avec l’expérimentation, implique :
    • une temporalité logique
    • une temporalité historique

– La science est ainsi la présentation paradoxale du vrai

  • elle présente le vrai comme tel / celui-ci n’existe que dans son déploiement logique – historique.
  • intuition / déduction

– Donc la science devient actualité de la recherche – ce qui diffère la présentation de la vérité comme telle

  • Paradoxe du Ménon de Platon : Ménon, 80e : pour chercher la vérité il faut savoir ce qu’on cherche, donc il faut déjà posséder la vérité.
  • Solution platonicienne : la réminiscence
  • Solution moderne : la recherche, au rythme des découvertes.
  • La présentation du vrai est donc le présent actuel de la recherche. La science est la science actuelle.
  • Cf. chez Popper la théorie des trois mondes. Le monde 3 est celui des “contenus objectifs de pensée” et repose sur “le contenu des revues, des livres et des bibliothèques” : lire cet extrait et l’article Wikipédia sur les trois mondes.
  • L’actualité des sciences est celle des publications : la publication (nombre et citation des articles publiés) devient la clef de l’évaluation de la recherche ; mais ce critère d’évaluation, déterminant dans le financement de la recherche est-il scientifique ? Il est plutôt inspiré directement de celui de l’économie néolibérale (productivité). D’où le débat sur l’évaluation quantitative/ qualitative de la recherche. Voir sur ce point cet article Wikipédia et la Déclaration de San Francisco
  • Aborder la science c’est connaître cette actualité, ce qui se nomme “veille scientifique” (effectuée par les laboratoires, les administrations, les entreprises). Importance d’effectuer au cours de l’année sa propre veille scientifique.
  • Ainsi la science se trouve liée à toute l’actualité : sociale, politique, etc.
  • C’est de cette manière que la science est plongée dans le monde, dépend de l’état de la société, des pressions politiques, etc. Cf. la critique politique de la recherche ; voir cet article de Pierre-Carl Langlais et ce discours du Président Sarkozy sur l’insuffisance des publications scientifiques françaises en 2009

L’actualité de la science est aussi un moment de l’histoire des sciences

  • Un tournant fondamental : justement celui entre une science éternelle, fondée sur la métaphysique, et une science définie par l’actualité des théories et de la recherche, donc impliquant l’historicisation de la vérité (début XXe s.)
  • Ce tournant est aussi celui de la pluralisation des sciences : plus de système unique, mais des sciences irréductibles les unes aux autres, ayant chacune leurs modes de démonstration, d’expérimentation, etc. Grande différence sciences de la nature / sciences humaines, mais aussi quantité de différences internes.
  • Ce tournant est aussi celui où toute l’histoire des sciences devient épistémologique, sociologique, politique…
  • … et où il s’avère que l’histoire elle-même évolue au rythme de ses théories : d’où la nécessité d’une histoire de l’histoire, l’historiographie (cf. plus haut sur l’Ecole des Annales).

– D’où la problématique de cette année :

La science entretient un lien privilégié avec la vérité, elle est la présentation du vrai comme tel / elle est aussi ce qui éloigne la vérité, la diffère, ne la présente jamais comme telle.

On avait commencé par souligner le paradoxe d’une introduction à la science, qui exige de se placer à la fois dans et hors d’elle. Ce paradoxe se retrouve dans la relation science – vérité :

la science est-elle dans la vérité ?

I. Présent et crise de la science

On a défini la science par son actualité : si elle présente le vrai, c’est au présent, donc en s’écartant de ses résultats passés. On choisira donc de partir de la science actuelle.

Notre époque n’est cependant pas un âge de la science : elle est plutôt celle qui s’appuie sur l’idée que toute vérité scientifique est relative, provisoire, pour lui préférer d’autres croyances: opinion, pseudo-science, complotisme, mais aussi foi dogmatique. On peut dire que notre présent se définit par la “post-vérité”, le retour des religions, la rupture entre politique et science, l’indifférence face à la recherche scientifique, son appauvrissement pour des raisons budgétaires… la science n’est pas plus écoutée quand elle démontre les dangers qui découlent du progrès techno-scientifique lui-même (le réchauffement climatique). On assiste à une fin, ou plutôt une mutation, de la civilisation, sans savoir où cela nous mène.

D’où la nécessité de revenir sur ce qui fait l’origine de notre actualité: cette crise, qui est aussi un renouvellement, de la science au début du XXe s. : sa place s’est affaiblie parce qu’elle a gagné en capacité de remise en cause, également en exactitude – et en complexité. Paradoxalement, la science progresse d’autant plus qu’elle a perdu sa suprématie.

A. Les sources de la science actuelle

Le dernier âge de la science est le positivisme, qui naît dans les années 1830 (A. Comte), se généralise et devient scientisme dans la seconde moitié du XIXe s.

Au début du XXe s., la science entre en crise avec toute l’Europe : c’est justement le moment où elle renonce à toute vérité définitive, avant même que la première guerre mondiale ne plonge des pays mettant tout le progrès des sciences et des techniques au service de leur destruction réciproque.

Mais comme on l’a dit, cette renonciation est aussi un renouvellement dans tous les domaines : relation entre logique et mathématique, nouvelle physique, autonomisation et progrès de la chimie et de la biologie, développement des sciences humaines et sociales. Parce qu’elle renonce à son dogmatisme et à son unité, la science se dissémine dans l’activité des sciences ; s’il est encore une unité, c’est celle d’un nouvel esprit scientifique.

1. Un nouvel esprit scientifique

Parler de la science comme “esprit” c’est déjà la plonger dans une histoire, qui a suivi différentes étapes.

Cf. Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique : succession de trois “états”:

“1º L’état concret [esprit pré-scientifique] où l’esprit s’amuse des premières images du phénomène et s’appuie sur une littérature philosophique glorifiant la Nature, chantant curieusement à la fois l’unité du monde et sa riche diversité.

L’état concret-abstrait [esprit scientifique] où l’esprit adjoint à l’expérience physique des schémas géométriques et s’appuie sur une philosophie de la simplicité. L’esprit est encore dans une situation paradoxale : il est d’autant plus sûr de son abstraction que cette abstraction est plus clairement représentée par une intuition sensible.

3º L’état abstrait [nouvel esprit scientifique] où l’esprit entreprend des informations volontairement soustraites à l’intuition de l’espace réel, volontairement détachées de l’expérience immédiate et même en polémique ouverte avec la réalité première, toujours impure, toujours informe.”

Remarques : la périodisation est assez mouvante, puisque Galilée et Descartes montrent que la physique est plutôt dans le second état dès le XVII e s.

La difficulté pour changer d’état, en particulier pour passer à l’état scientifique ou abstrait sont les “obstacles épistémologiques”: “c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique.”

Obstacles : l’expérience première, la connaissance générale, l’obstacle substantialiste, l’obstacle animiste.

voir ce résumé de La Formation de l’esprit scientifique.

A partir de là, on peut mieux décrire les sources de notre période (l’état abstrait) : Bachelard, Le nouvel Esprit scientifique.

“La science simplifie le réel et complique la raison” (introduction); elle devient contre-intuitive. “Après avoir formé, dans les premiers efforts de l’esprit scientifique, une raison à l’image du monde, l’activité spirituelle de la science moderne s’attache à construire un monde à l’image de la raison. L’activité scientifique réalise, dans toute la force du terme, des ensembles rationnels.” (introduction).

Exemple à retenir: du morceau de cire de Descartes à la physique des surfaces : Le nouvel Esprit scientifique, VI “L’épistémologie non-cartésienne”,5, p. 126 sq du pdf. A comparer avec la Seconde des Méditations métaphysiques de Descartes (repères 256-9).

Lire également VI,6, conclusion de l’ouvrage: “L’esprit a une structure variable dès l’instant où la connaissance a une histoire.” “l’esprit scientifi-que est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d’une longue erreur, on pense l’expérience comme rectification de l’il-lusion commune et première. Toute la vie intellectuelle de la science joue dialectiquement sur cette différentielle de la connaissance, à la frontière de [174] l’inconnu. L’essence même de la réflexion, c’est de comprendre qu’on n’avait pas compris.”

2. La nouveauté de la physique

a. La physique galiléenne
  • Chute des corps et plan incliné. Lire ce document et retenir les formules : les distances parcourues par un corps en chute libre sont proportionnelles au carré des temps ; pour la vitesse, d = t2 ; pour l’accélération : d2 / d1 = t22 / t12
  • Principe d’inertie
  • Principe de relativité
b. L’expérience de Michelson – Morley et le facteur de Lorentz
  • si la lumière se déplace à vitesse constante dans l’Ether, alors, si on fait une mesure de cette vitesse dans le sens du déplacement de la Terre par rapport à l’Ether, on doit obtenir un résultat plus faible que si la mesure est faite dans la direction opposée. La différence nous donne alors une estimation de la vitesse de la Terre dans l’Ether.
  • Or Michelson-Morley ne mesurent aucune différence : La vitesse de la lumière est la même dans toutes les directions. C’est une constante (C).
  • Le facteur Gamma ou facteur de Lorentz : Pour retrouver cette différence, donc la relativité du mouvement entre deux mobiles, il ne suffit pas d’ajouter ou de soustraire la vitesse d’un mobile (V1 + V2, ou V1-V2); il faut un facteur de transformation qui inclut la vitesse de la lumière, découvert par Lorentz :  
c. La relativité restreinte (Einstein, 1905)
  • Les lois de la physique sont les mêmes dans tous les référentiels inertiels
  • Dans un repère inertiel, la vitesse de la lumière C, est toujours la même, qu’elle soit émise par un objet en mouvement ou en repos.
  • Contraction relative de la longueur (L) d’un mobile par rapport au centre de référence qui mesure sa vitesse : L/Gamma
  • Dilatation relative du temps de déplacement d’un mobile par rapport au centre de référence qui mesure sa vitesse : T x Gamma
  • Pour des vitesses très inférieures à celles de la lumière, Gamma est très proche de 1: on retrouve la mécanique galiléeinne – newtonienne ; plus V est grand, plus Gamma est grand (divergence vers +infini), et dans ce cas, la mécanique classique donne des résultats faux, on a besoin d’introduire le facteur gamma.
    • 100 km/h : Gamma : 1.000000056 ; contraction de l’espace :  0.999999944 ; dilatation du temps :  
      1.000000056
    • 0.9 C : Gamma 2.29 ; contraction de l’espace : 0,44 ; dilatation du temps : 2,29
    • vitesse de la lumière, C: Gamma : infini ; contraction de l’espace 0 ; dilatation du temps : 0 ; autrement dit la vitesse d’un photon (celle de la lumière) est indépassable.  
  • exemple : le muon est une particule instable, ce qui signifie qu’elle se détruit peu de temps après avoir été crée, et se désintègre en particules plus légères. On a effectivement mesuré qu’un muon qui se déplace à une vitesse proche de celle de la lumière vit plus longtemps qu’un muon qui se déplace moins vite. C’est une conséquence directe de la dilatation du temps, plus importante à grande vitesse. Par contre, du point de vue du muon lui-même, c’est à dire dans le référentiel dans lequel le muon est au repos, il vit toujours le même temps, car vu de son propre point de vu, le muon étant au repos, gamma=1 exactement. Ainsi un muon peut traverser l’atmosphère en allant, pour l’observateur (pas pour le muon) au-delà de son temps de survie.
  • La dynamique :
    • Les formules de l’énergie cinétique
      • E = MV (Descartes)
      • E = MV2 (Leibniz)
      • E = 1/2 MV2 (Newton), formule retenue en physique classique)
      • Ec = (gamma -1) x MC2 (Einstein)
      • Remarques :
        • on note Ec parce que l’énergie cinétique se distingue alors de l’énergie de masse
        • pour des valeurs faibles on retrouve, avec une différence infime, la formule classique E = 1/2 MV2
    • L’énergie de masse ou énergie au repos : E = MC2
      • découverte par Einstein comme corrolaire de l’énergie cinétique : la cohésion des corps atomiques repose sur cette force considérable.
      • toute masse est équivalente à une énergie
      •  quand on casse un noyau d’atome par l’énergie cinétique d’un corpuscule, la masse des constituants séparés du noyau est inférieure à celle du noyau lui-même. Cette différence de masse est convertie en énergie selon la relation E=MC2: sous forme explosive dans la bombe atomique, sous forme de chaleur dans un réacteur de centrale électrique. Cette fusion est une réaction en chaîne (les corpuscules échappées du noyau rencontrent d’autres noyaux etc.). L’inverse est la fission, qui a lieu dans les étoiles et les EPR.
      • De la théorie à l’application technique : 40 ans (1905 – 45). L’application est à la fois militaire et civile. Voir cet article sur le programme nucléaire américain. Cf. le film Oppenheimer de Christopher Nolan (2023). Voir cet article sur le programme Plowshare américain et celui-ci sur le programme 7 soviétique.
d. La relativité générale (Einstein, à partir de 1907)
  • Le but est de généraliser la théorie de la relativité restreinte (valabre avec un système de référence inertiel : vitesse constante et uniforme) à tous les types de repères ?
  • Le repère le plus simple qui ne soit pas inertiel est le repère uniformément accéléré. Calculer la relativité des vitesses dans ce contexte permet d’expliquer la gravité : la masse d’un corps dans un ascenseur qui accélère vers le haut augmente / elle diminue si l’ascenseur accélère en descente.
  • D’où un principe d’équivalence entre un référentiel uniformément accéléré et un champ de gravitation.
  • Un champ de gravitation est une déformation de l’espace-temps, semblable à celle d’une toile tendue sur laquelle on pose un objet: les corps en mouvement pris dans le creux de la toile gravitent autour de cet objet.
  • de la théorie à l’expérimentation: l’éclipse solaire de 1919.
  • Bachelard en généralisant à partir de la vitesse : “C’est au moment où un concept change de sens qu’il a le plus de sens”. Lire Le nouvel Esprit scientifique, II “La mécanique non-newtonnienne”. Retenir les développements compréhensibles.

Pourtant, c’est aussi le moment où la science perd son sens… La crise interne à la science s’accompagne en effet d’une crise de la science vis-à-vis de l’existence humaine en général.

B. La crise globale de la science et son origine.

Reste à expliquer la crise elle-même. Ce qui exige d’évaluer la science vis-à-vis des autres champs, la question étant aussi de savoir si cette évaluation relève ou non de la science.

1. Une crise du sens

La science s’est éloignée des autres domaines, elle a rompu avec le langage – et le premier effet est son détachement vis-à-vis de la politique

Extrait de Hannah Arendt, La Condition de l’homme moderne

1. L’explication de la crise

Quelle science peut nous faire comprendre cette crise ? Une science nouvelle.

La Phénoménologie de Husserl (première approche)

  • La Philosophie de l’arithmétique ; la question de l’accès aux idéalités mathématiques.
  • Les Recherches logiques: visée (Meinung) et remplissement intuitif ; les actes visant des idéalités logiques et mathématiques sont fondés sur la perception.
  • La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (1935) : décrire cette crise et les actes qui se situent à son origine. La description n’est pas une déduction : la déduction est le propre des sciences exactes, la description est au fondement des sciences rigoureuses. article de Husserl, “La philosophie comme science rigoureuse” / la déduction appartient aux sciences exactes.

La description de la crise elle-même :

  • La Crise… § 2 : « dans la détresse de nos vies, c’est ce que nous entendons partout – cette science n’a rien à nous dire. Les questions qu’elle exclut par principe sont précisément les questions qui  sont les plus brûlantes à notre époque malheureuse pour une humanité abandonnée aux bouleversements du destin [NB: on est en 1935] : ce sont les question qui portent sur le sens ou sur l’absence de sens de toute cette existence humaine »
  • Même les sciences humaines (les “sciences de l’esprit”) s’en tiennent à des faits et non des valeurs: des sciences humaines, sc de l’esprit, qui s’en tiennent à des constats sur les valeurs ; « de simples sciences de fait forment une simple humanité de fait ».
  • Conférence de Vienne, “La crise de l’humanité européenne et la philosophie” : naturalisme des sciences de la nature et des sciences de l’esprit; le fil conducteur de la médecine ; l’implicite des pseudo-sciences du nazisme. La conclusion : “Le motif de l’insuccès d’une culture rationnelle réside cependant, comme nous le disions, non dans l’essence du rationalisme lui-même, mais uniquement dans son extériorisation, dans son engloutissement dans le « naturalisme » et « l’objectivisme ». La crise de l’existence européenne n’a que deux issues : soit la décadence de l’Europe devenant étrangère à son propre sens vital et rationnel, la chute dans l’hostilité à l’esprit et dans la barbarie ; soit la renaissance de l’Europe à partir de l’esprit de la philosophie, grâce à un héroïsme de la raison qui surmonte définitivement le naturalisme. Le plus grand danger pour l’Europe est la lassitude. Luttons avec tout notre zèle contre ce danger des dangers, en bons Européens que n’effraye pas même un combat infini et, de l’embrasement anéantissant de l’incroyance, du feu se consumant du désespoir devant la mission humanitaire de l’Occident, des cendres de la grande lassitude, le phénix d’une intériorité de vie et d’une spiritualité nouvelles ressuscitera, gage d’un avenir humain grand et lointain : car seul l’esprit est immortel.”
  • Comparer avec la correspondance entre Einstein et Freud, “Pourquoi la guerre” (1932), extrait de Freud : “Je trouve, dans une critique que vous portez sur l’abus de l’autorité, une seconde indication pour la lutte indirecte contre le penchant à la guerre. C’est l’une des faces de l’inégalité humaine, — inégalité native et que l’on ne saurait combattre, — qui veut, cette répartition en chefs et en sujets. Ces derniers forment la très grosse majorité ; ils ont besoin d’une autorité prenant pour eux des décisions auxquelles ils se rangent presque toujours sans réserves. Il y aurait lieu d’observer, dans cet ordre d’idées, que l’on devrait s’employer, mieux qu’on ne l’a fait jusqu’ici, à former une catégorie supérieure de penseurs indépendants, d’hommes inaccessibles à l’intimidation et adonnés à la recherche du vrai, qui assumeraient la direction des masses dépourvues d’initiative. Que l’empire pris par les pouvoirs de l’Etat et l’interdiction de pensée de l’Eglise ne se prêtent point à une telle formation, nul besoin de le démontrer. L’État idéal résiderait naturellement dans une communauté d’hommes ayant assujetti leur vie instinctive à la dictature de la raison. Rien ne pourrait créer une union aussi parfaite et aussi résistante entre les hommes, même s’ils devaient pour autant renoncer aux liens de sentiment les uns vis à vis des autres. Mais il y a toute chance que ce soit là un espoir utopique. Les autres voies et moyens d’empêcher la guerre sont certainement plus praticables, mais ils ne permettent pas de compter sur des succès rapides. On ne se plait guère à imaginer des moulins qui moudraient si lentement qu’on aurait le temps de mourir de faim avant d’obtenir la farine.”

Pour vraiment comprendre la crise des sciences, selon Husserl, il faut une suite de pas en arrière

b. Premier pas en arrière : Galilée et la mathématisation de la nature, ou l’origine de la crise

Krisis, § 8: Galilée : mathématisation de la nature : exige la projection du plan géométrique sous les phénomènes, si bien qu’ils deviennent quantifiables. Galilée : “le livre de la nature s’écrit en langage mathématique”.

La science est donc à la fois découvrante et recouvrante ; elle place sur les phénomènes un “vêtements d’idées”.

c. Deuxième pas en arrière : la Grèce antique, ou l’origine historique de la science

La Conférence de Vienne : l’idée grecque de theoria, tâche infinie de la pensée.

d. Troisième pas en arrière : l’origine idéale de la science (le protogéomètre) et le monde de la vie

Husserl, L’Origine de la géométrie

Le monde de la vie.

e. La terre ne se meut pas

Sur Husserl, lire :
f. La science ne pense pas (Heidegger)

Lire dans Heidegger, Essais et conférences : Science et méditation” (p. 49-79) et “Que veut dire penser ?” (p. 151-169).

  • Dans Etre et temps, l’attitude première de l’existant n’est pas la perception comme chez Husserl mais la quotidienneté, qui plonge l’être-là dans un monde de choses utilisables et de choses à faire : jusqu’à la panne de l’outil et l’angoisse.
  • “l’analytique existentiale” qui suit le fil conducteur de l’être-là (la quotidienneté, l’angoisse, la conscience morale, la décision…) n’est ni l’anthropologie, ni la psychologie, ni la biologie : l’existence est rapport à l’être, l’être-là n’est donc pas “l’homme” comme simple étant parmi d’autres (Etre et temps, § 10).
  • Le “second Heidegger” (après 1945) suit le fil conducteur de la pensée de l’être, non plus celui de “l’être-là”; l’historialité, distincte de l’histoire, dont il était question dans Etre et temps n’est plus celle des décisions et des “destins” des peuples (proximité avec le nazisme) mais des époques de l’être – des relations de l’homme à l’être ; il est à nouveau question de l’homme, dans sa relation à l’être.
  • Depuis Platon, la pensée de l’être se caractérise par son oubli : métaphysique, science, technique (La Question de la technique, in Essais et conférences) : la production (poeisis) de la nature est devenu arraisonnement de la nature.
  • Donc “la science ne pense pas”, ce qui fait son exactitude, son efficacité y compris technique (Que veut dire penser, in Essais et conférences, à lire)
  • La science interpelle le réel, qui reste pour elle incernable ; sont incernables la nature pour physique, l’être-là pour la psychiatrie, l’historial pour l’histoire, le langage pour la philologie ; L’incernable régit donc l’être de la science (Science et méditation, in Essais et conférences, à lire)
  • “là ou croît le danger, croît aussi ce qui sauve” (Hölderlin, cité dans La Question de la technique : nous sommes appelés à dépasser l’époque de la technique, qui nous apparaît dans tous ses dangers.
  • Ce dépassement implique une exigence de vraiment habiter la terre (Bâtir, habiter, penser, in Essais et conférences, à lire). L’habiter implique, comme le temple grec, quatre repères (le quadriparti) : les mortels, les divins, la terre, le ciel : habiter, c’est pour les mortels “sauver la terre, accueillir le ciel, attendre les divins, conduire leur être propre dans l’être de la mort”.
  • L’habitation du monde se dit philosophiquement et poétiquement: la poésie libère la poeisis de la production scientifique et technique, elle est au plus proche de la pensée (dichten – poétiser – denken – penser – danken – remercier l’être d’apparaître…). Cf. L’homme habite en poète, in Essais et conférences, à lire).
  • Cette exigence a eu des répercussions essentielles dans l’anthropologie (Descola, Tim Ingold), la géographie (en France Michel Lussault), l’écologie (cf. l’actuelle “exposition générale” à la fondation Cartier). Ce sont autant de manières de sortir de Heidegger – car il faut en sortir, y compris dans ses dissertations.

Conclusion du B1 : on a effectué une série de pas en arrière et de retour à l’origine (de l’être) pour comprendre la crise actuelle de la science, il s’agit de la voir également comme crise sociale – la science étant inscrite dans cette crise plus qu’elle ne la gouverne.

2. Science, société, écologie

Introduction

La politique est depuis Platon une science de la communauté (la koinônía, qui a pour lieu la cité, polis).

La société devient objet de science au cours du XIXe s., en particulier avec Hegel (société civile dans les Principes de la philosophie du droit – simple remarque qu’il n’est pas nécessaire d’approfondir ici) et surtout A. Comte : loi des trois états concernant les sociétés comme les sciences (états théologique, métaphysique, scientifique ou positif) ; à l’état positif, la communauté humaine ne se comprend plus religieusement ou métaphysiquement (selon des grands principes dissoluteurs comme ceux de la Révolution française) mais selon des lois mettant en relation des phénomènes collectifs : la loi sociale statique et l’ordre, la loi dynamique est le progrès, et la loi des trois états régit tout le progrès social.

Tönnies distingue communauté (soudée) et société (d’individus), voir cette recension de Durkheim.

Durkheim, dans De la division du travail social, s’écarte de Tönnies et de son côté traditionnaliste en distinguant la solidarité mécanique (la “communauté” en tant qu’elle est régie par la tradition, qu’elle est vouée au statique) et la solidarité organique (la société dynamique régie par la division du travail, qui lie les individus entre eux). Voir cette petite synthèse.

Ce qui nous intéresse ici c’est une perspective à la fois interne et externe de la société pour comprendre :

  • la société comme objet d’une science humaine fondamentale, la sociologie.
  • Quelle place la société laisse à la science : comment elle est devenue scientifique, et si elle l’est vraiment. Comte, Durkheim, Weber (lire l’avant propos de l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme) partent du principe que la société se rationalise : Weber insiste sur le “désenchantement du monde”, qui pour lui est un passage du charme magique du pouvoir (dit charismatique) au pouvoir légitime – rationnel et s’avère donc positif (il n’y a rien à “réenchanter”). Mais la société est-elle scientifique, rationnelle ?
  • Quelle est la place de la science dans la division du travail social.
  • Comment l’écologie a bouleversé ses questions
a. Société close, société ouverte et modernité chez Bergson

Bergson distingue la matière et la vie qui émerge à partir d’elle; la vie est “résolution de problèmes” (L’Evolution créatrice) ; la torpeur végétale, l’instinct animal, l’intelligence surtout développée par l’homme, sont autant de voies de résolution.

L’intelligence est une perception consciente qui retarde l’action pour dégager des possibles; elle est à l’origine de la projection de la matière dans l’espace géométrique, du temps mesurable, de la technique (l’homme est homo faber, il retarde son action le temps de fabriquer les outils qui la rendent plus efficace), de la science.

L’intelligence est adaptée à l’action sur la matière, non à la compréhension de son origine, la vie; seule l’intuition ressaisit la vie en rapprochant l’intelligence de l’instinct.

Cf. Simondon, La Résolution des problèmes : la définition de l’intelligence comme “technique de contournement” devient fausse quand l’animal est extrait de son milieu de vie pour être placé dans le milieu déjà “intelligent”, scientifique, du laboratoire. Le laboratoire scientifique déforme les conditions de la perception (cf. Gibson, Approche écologique de la perception visuelle).

Application à la société dans Les deux Sources de la morale et de la religion: voir ce résumé. Bergson est inspiré par la différence entre société mécanique et organique de Durkheim, tout en la modifiant en profondeur

  • La société close repose sur l’intelligence, qui joue dans les sociétés humaines le rôle de l’instinct dans les sociétés animales, en formulant des impératifs sociaux stables (cf. la solidarité mécanique)
  • La société s’ouvre quand l’intuition mystique d’un “héros moral” formule une nouvelle exigence de liberté et de justice (ce mysticisme remplace la division du travail chez Durkheim…)
  • Sur la société moderne, lire le chapitre IV : la société industrielle a développée la voie de l’intelligence, scientifique et technique ; une “loi de la double frénésie” fait qu’une société va au bout d’une direction avant de changer de voie par lassitude : donc “il faudrait prévoir, après la complication sans cesse croissante de la vie, un retour à la simplicité.”
  • Popper reprendra Bergson en donnant une version rationnelle de la société ouverte (donc dans la voie de la rationalisation positiviste de Comte ou Weber), cf. ce texte éclairant.

Mais aussi bien la domination de “l’intelligence” traduit une structure générale de la société qui fonde tous les discours, et dans lesquels sont inscrits la perspective sur la vie et sur l’homme, cela jusqu’à la domination d’une “biopolitique”.

b. science et domination: épistémès et biopolique

Foucault, notion d’épistémè dans Les Mots et les choses : « Ce sont tous ces phénomènes de rapport entre les sciences ou entre les différents discours dans les divers secteurs scientifiques qui constituent ce que j’appelle épistémè d’une époque » (Dits et écrits). Voir cet article Wikipédia sur Les Mots et les choses.

L’épistémè contemporaine fait que l’homme est à la fois sujet et objet du savoir: comme être vivant (biologie), travaillant (économie), parlant (philologie). On voit ici comme des sciences sont mises en rapport par une épistémè, et comment émergent les sciences humaines à partir de la fin du XVIIIe s.

Cette épistémè est aussi celle où change la relation du savoir au pouvoir : l’âge classique centralisait l’ordre social comme la science autour de la figure du souverain (roi, peuple, ou loi) ; l’âge contemporain dissémine cet ordre dans le champ de la discipline : des règles qui débordent la loi comme la science, et norment la vie, le travail, la parole. Le pouvoir souverain s’efface devant la “gouvernementalité” qui maintient ces normes dans l’école, l’usine, ou la prison pour ceux qui ne les respectent pas (délinquants plus que criminels). En ce sens, dans Surveiller et punir, c’est la discipline portant sur le travail qui est central.

Mais aussi bien, gouvernementalité et discipline portent sur la vie, et c’est là l’origine de la biopolitique. Le pouvoir souverain avait pour objectif “faire mourir et laisser vivre”, la biopolitique “faire vivre et laisser mourir”. La souveraineté impliquait un peuple et un représentant du peuple, la gouvernementalité biopolitique vise à normer la population : ses normes pseudo-scientifiques sont donc en relation avec la démographie, la biologie (pseudo-science de la race), la médecine. Les politiques de santé publique relèvent de la biopolitique: elle hérite de la gestion des grandes épidémies (lèpre, peste), et prenne dans le monde contemporain une dimension majeure, ce qui a beaucoup été dit à propos de l’augmentation du pouvoir sur les corps lors des confinements et campagnes de vaccination comme gestion gouvernementale de l’épidémie de Covid-19. Lire ce cours de Foucault sur la biopolitique dans son séminaire Il faut défendre la société, l’article Wikipédia sur la biopolitique, cet article de F. Keck sur la biopolitique et celui-ci sur la relation biopolitique – sciences humaines.

Il est clair que la différence entre les normes (ou la gouvernementalité) et les lois scientifiques font que le champ scientifique n’est qu’une des dimensions de la société. En ce sens, c’est la spécificité de ce champ dans la division sociale du travail qu’il faut étudier, et pas seulement la globalité d’une “épistémè”.

c. Le champ scientifique

Bourdieu, La spécificité du champ scientifique

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